Kamel Daoud chez Gallimard
J'ai pris mon temps pour lire ce livre. Pour l'encaisser. Dans sa dureté.
Pour m'imprégner du texte incroyable aussi. La langue est exceptionnelle. Saisissante. Bouleversante. Incandescente.
Et quel courage aussi d'écrire ce texte. D'un passé algérien dont on ne veut parler et dont on ne peut parler sous peine d'emprisonnement. La barbarie et la violence se préfèrent dans un monde silencieux et amnésique pour ceux qui sont responsables.
Mais les victimes, elles, ont besoin de dire.
Et c'est la voix d'une femme muette qui va devenir écho et chaos, monologue inépuisable plein de colère. Poétique pourtant.
Enfant, elle a été égorgée et laissée pour morte dans le massacre de son village.
Elle en gardera une cicatrice, marque indélébile de 17 cms. Plus de cordes vocales. Plus de voix pour dire et raconter l'horreur de cette guerre civile.
Plus de voix pour dénoncer.
Mais cette coupure immense qui fait corps est pourtant tout le contraire du silence. Stigmate d'une horreur à jamais ancrée dans le corps. Exhibée au quotidien.
Désormais adulte, enceinte, ses maux résonnent et explosent. Elle ne peut donner vie à cet enfant porté, à quoi bon vivre dans ce pays qui violente et tue, les femmes en premier.
Alors, dans ce récit qu'elle fait à sa fille non née , elle nomme justement les faits. Les atrocités. C'est une voix gorgée de sang, c'est une voix soumise au silence qui éclate.
C'est une voix de femme privée de vie, de liberté. De futur envisagé.
Une voix de courage. Une voix qui contre. Abolit le silence. Dans un pays massacré et mis sous scellé.
À l'heure d'enfanter, de donner vie à une fille, ressurgit l'innommable passé. Reinterroge l'histoire personnelle et collective.
C'est un livre incroyable.
Extrêmement dur aussi dans le propos.
Absolument nécessaire pour nommer l'atrocité et se souvenir comme un devoir. Dire pour lutter. La voix muette devenue encore plus puissante et résonnante.
Une voix voie...
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